Départ à 6 heures du matin, pour notre tentative d'ascension de ce sommet qui n'a jamais été gravi - pas d'ascension connue - à plus de 5000 mètres d'altitude.
Pic Véronique et Anne
En rouge : Voie Les 6 Frères
Il nous faut deux heures pour rejoindre le pied de la montagne, en remontant une moraine, puis un glacier. Parvenus à son pied, nous gravissons une face, orientée nord, sur 300 mètres de dénivelée, et rejoignons une arête.
Nous remontons vers l'ouest cette arête en neige et rochers.
Pas après pas, notre cordée se hisse, en silence, vers le sommet, inscrivant ce qui est le premier passage humain sur cette petite portion de l'écorce terrestre. Il faut rappeler que cette zone du chaînon Trans Alaï a été très peu explorée jusqu'à présent; en effet, selon les Russes que j'ai rencontrés, elle a été interdite aux visiteurs, dont les alpinistes, jusqu'à la fin de l'ère soviétique. J'ai trouvé les traces d'uniquement deux expéditions précédentes. Une université britannique (cf. son rapport d'expédition) a réalisé, en 2004, une expédition dans cette vallée, et aussi dans une vallée adjacente à son ouest. Et, en 2012, des Suédois ont atteint un sommet qui avait été gravi au préalable, en 2004, par les Britanniques. En revanche, aucune information d'ascension de la montagne que nous tentons de gravir ; le rapport de l'expédition britannique de 2004 en fait uniquement mention - avec une altitude de 5123 mètres, sur son croquis de la vallée.
J'évolue lentement mais régulièrement, difficilement, économisant souffle et énergie. Avant, lorsque les poumons étaient encore entiers, je montais bien plus vite à cette altitude. Mais cette amputation de juillet 2012, tout en supprimant une tumeur qui s'était développée depuis plusieurs années, a diminué mes capacités. Et il a fallu aussi gérer une rupture du tendon d'Achille en 2011 suite à une chute en escalade, ainsi qu'une déchirure musculaire en septembre 2013 lors d'une ascension dans les Écrins.
Malgré ces accidents de parcours, j'ai toujours maintenu une activité physique quotidienne. Et depuis novembre 2012, lorsque cela m'était possible, tout en continuant à faire quelques courses en haute altitude, je me suis focalisé sur la marche en moyenne montagne, seul, afin d'accumuler de la dénivelée; les temps de montées se sont progressivement bien améliorés, pour s'approcher de ceux d'avant, néanmoins sans jamais les atteindre. Mais, dorénavant, il faudra peut-être que j'augmente encore le rythme d'entraînement dans des altitudes plus élevées.
Arrivés à une pointe, nous découvrons que le chemin pour atteindre le sommet paraît encore long, avec de surcroît la fatigue qui augmente l'impression de distance. De plus, son accès final ne semble pas vraiment évident.
De fait, la dernière partie est assez délicate. L'arête est fine. Nous allons de part et d'autre; au nord, c'est une face bien inclinée en neige transformée, et au sud, une paroi de roche friable.
Enfin, vers 16 heures, nous parvenons au sommet.
Le sommet est une petite plateforme rocheuse. Le GPS de Nikolaï indique une altitude de 5200 mètres. Tradition russe, semblable à celle de certains grimpeurs argentins, il laisse un papier dans un petit sac en plastique qu'il recouvre d'un tas de pierres, trace de notre passage. Il accepte ma proposition de baptiser, en l'absence d'ascension connue, le sommet Вероник и Aннa, en francais Véronique et Anne, le dédiant ainsi à ma femme Véronique, et à Anna, la femme de Nikolaï.
Quant à la voie, nous la dédions à mes six garcons, et la baptisons 6 братья, en francais Les 6 frères. Depuis le camp de base, l'itinéraire fait 1450 mètres de denivelée. Depuis le camp d'altitude, 950 mètres de dénivelée, qui se décompose en 250 mètres d'approche, suivie de 300 mètres de face glaciaire, puis de 450 mètres d'arête en neige avec des parties en roche friable. Sa dernière partie sommitale, assez délicate, impose, dans les conditions que nous avons connues, une cotation D- (Difficile-).
Les vues sont spectaculaires, notamment en direction du sud, sur les montagnes du Pamir de la région du Haut-Badachkan auTadjikistan, pays dont la frontière est toute proche.
Mais la tempête se lève, il faut redescendre sans attendre. Sous des rafales de vent et des chutes de neige, nous redescendons, en reprenant tout d'abord nos traces de montée, puis en empruntant, dans le dernier tiers, un couloir de neige orienté est.
A 19 h 30, nous rejoignons notre tente du camp d'altitude.