Ciné-conférence Explorations dans la chaîne Trans Alaï, 3 février 2024, Forum des images, Paris 1er




29 août - Och


Je suis arrivé ce matin à 4 h 10 à l’aéroport de la petite ville d’Och, après une nuit blanche. 

Vol Moscou – Och : une immersion dans la population d’Asie centrale

Le voyage aura duré plus de 11 heures, avec une escale à Moscou. La deuxième partie du trajet, Moscou-Och, s’est déroulée en immersion totale au sein de populations d’Asie centrale. Il est clair que je dénotais, étant le seul européen au milieu de Kirghizes et peut-être d’Ouzbeks, deux ethnies dont les origines turques se reconnaissent notamment par leurs visages aux yeux étirés en forme d’amande. Un jeune Kirghize d’une dizaine d’années me demandera tout de même si je suis un Ouzbek… Les deux peuples, les kirghizes et les ouzbeks, ne font pas vraiment bon ménage (voir annexes sur la Préparation de l’expédition). Malgré l’heure tardive, une belle animation a régné durant le vol. Devant moi, un couple de Kirghizes d’un certain âge. L’homme est coiffé du traditionnel kalpak des Kirghizes – un chapeau blanc en feutre de forme conique, aux bords retroussés de couleur noire, qui symbolise une montagne. Sa femme est recouverte d’un foulard aux motifs d’Asie centrale. À ma droite, une jeune, très jeune, mère de famille porte sur ses genoux son garçon d’un an à peine, une bonne grosse bouille joviale, et à ses côtés son autre fils couvert d’un kalpak, aux couleurs peu habituelles, plus vives. 

Je n’ai pas vu d’autres chapeaux kalpaks dans l’avion, et n’ai pas vu d’hommes recouverts de la traditionnelle calotte des Ouzbeks. Il faut préciser que, dans ce vol, il y a beaucoup de jeunes ; et, peut-être, comme j’avais pu le constater dans d’autres régions du monde, tels le Pérou et la Bolivie, les traditionnelles tenues vestimentaires locales sont délaissées par les nouvelles générations.

Je ne puis échanger avec mes voisins, car les langues parlées (voir ci-dessous) au Kirghizstan sont le russe, la langue officielle, et le kirghize, la langue nationale. J’ai appris le russe durant trois ans dans ma jeunesse, mais malheureusement, ne l’ayant pas pratiqué depuis, hormis quelques mots, j’ai quasiment tout oublié.

Och le 29 août

À Och, je suis heureux de retrouver Nikolaï. Nous ne nous étions pas revus depuis notre expédition de 2014. Il m’apprend que Sacha a finalement pu se libérer pour être notre conducteur ; c’est une bonne nouvelle, nous nous étions très bien entendus en 2014. Notre petite équipe de l’expédition dans la vallée Kichkesuu est reconstituée !

C’est la deuxième fois que je me rends dans cette ville du Kirghizstan – Och avait déjà été le point de départ de l’expédition de 2014. J’ai néanmoins l’intention de retourner sur tous les lieux où j’étais allé en 2014, afin de pouvoir revoir mes amis. Et aussi pour y reprendre des images vidéo, car en tant qu’amateur je m’améliore d’année en année.

Située à la frontière avec l’Ouzbékistan, dans la fertile vallée de la Ferghana, à 300 kilomètres au sud-ouest de Bichkek, la capitale du Kirghizstan, Och est la deuxième ville du pays, avec ses 282 000 habitants environ.

Dans la précédente page Préparation de l’expédition, j’avais consacré deux annexes à l’Asie centrale et au Pamir. Dans la continuité, afin de pouvoir mémoriser quelques repères, j’ai couché sur le papier ci-dessous, en annexe de cette page, des informations générales sur le Kirghizstan, et sur la ville d’Och.

Grosses chaleurs à Och, avec plus de 30° Celsius l’après-midi.  

J’ai attendu 8 heures du matin pour prendre un taxi qui m’a déposé au pied de la montagne Sulaiman-Too. Je suis monté à pied sur un observatoire situé sur les flancs de cette montagne, qui est d’ailleurs plutôt une colline. De ce point de vue, je bénéficie d’une vue d’ensemble spectaculaire vers l’est, sur la ville et la nature avoisinante. On y surplombe un gigantesque cimetière qui ne paraît pas en très bon état, des tombes semblent laissées à l’abandon sur un terrain en friche. Au pied de la colline, l’imposante mosquée de Sulaiman attire tous les regards. 

Précision : les images ci-dessous sont des captures d’écran sur mon PC, de vidéos que j’ai prises, de ce fait elles n’ont pas la qualité de photos.

Des pèlerins viennent prier, et se mélangent aux touristes dont je fais partie. 

J’ai pu croiser des femmes kirghizes. La colline a la forme d’une femme enceinte ; de ce fait, les femmes mariées qui souhaitent attendre un enfant viennent y prier.  

J’ai poursuivi le chemin goudronné, en montant à flanc de colline, jusqu’à la Dom Babura, encore appelée la maison de Babur (voir annexe sur Och ci-dessous)  une minuscule mosquée qui semble faire la fierté des habitants d’Och. De cette khoudj, des vues exceptionnelles sur la ville. 

En redescendant, je me suis brièvement arrêté au musée du trône de Sulaiman, au sein d’une gigantesque grotte au cœur de la montagne. Des découvertes archéologiques, géologiques de la région, et aussi sur la faune et la flore locales. 

L’après-midi, j’ai traversé la rivière Ak-Buura, et suis allé dans le parc Toktogul, parc très verdoyant, fleuri et bien entretenu. On y croise des statues de personnages ainsi que des monuments de l’histoire kirghize, dont un est dédié aux victimes de la guerre menée par les Soviétiques en Afghanistan. Une statue de Lénine trône en face du Parlement, ce qui peut étonner… J’ai discuté avec deux personnes, la quarantaine, qui m’ont dit que le personnage est toujours présent dans les mémoires, notamment chez les plus anciens. 

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Annexe : informations générales sur le Kirghizstan et Och

Kirghizstan

Le Kirghizstan est une république d’Asie centrale, indépendante depuis 1991, située à l’est de la Chine, au sud du Kazakhstan, à l’ouest de l’Ouzbékistan, et au nord du Tadjikistan. 

Dans ce pays à 90 % montagneux se trouvent deux vallées extrêmes, situées au sud et au nord du territoire, habitées par des populations aux cultures fortement différentes, qui s’opposent et sont en concurrence. La capitale du pays, Bichkek, est implantée dans la plaine du Nord. La ville d’Och, localisée dans la plaine du Sud, est surnommée la « capitale du Sud », en opposition à Bichkek. Entre ces deux vallées, la grande chaîne montagneuse des Tian Shan culmine à plus de 7 000 mètres, avec des cols à plus de 4 000 mètres d’altitude, ce qui crée des difficultés d’accès importantes chaque hiver entre les vallées.

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Le Kirghizstan actuel, aussi appelé  Kirghizie, est un pays, dont le principal groupe ethnique ne s’était encore jamais constitué en État. Au milieu du XIXe, le Khanat ouzbek de Kokand, du nom d’une ville ouzbek de la vallée de Ferghana, est progressivement submergé par l’avance de la Russie tsariste en Asie centrale. En 1876, la partie sud du territoire kirghize est incorporée à l’Empire russe. 

En 1926, les Soviétiques créent la République socialiste soviétique autonome du Kirghizstan ; elle sera intégrée comme membre à part entière de l’URSS en 1936. Durant l’ère soviétique, les autorités ont adjoint les vallées du Nord et du Sud, faisant fi du fait qu’elles sont composées de populations aux cultures radicalement différentes. Par ailleurs, elles ont forcé les Kirghizes à se sédentariser, et encouragé l’implantation de colons russes. La ville de Frunze, par la suite renommée Bichkek, se développe. Elle compte une majorité de Russes, qui tendent à occuper les postes à responsabilités ; néanmoins, beaucoup partiront dans les années suivant l’indépendance.

Depuis l’indépendance en 1991, le Kirghizstan a connu une vie politique mouvementée, avec notamment deux révolutions, en 2005 et en 2010, marquées par une revanche du Nord sur le Sud, et du Sud sur le Nord. Au Kirghizstan, les élections se sont certes déroulées plus librement que dans les autres pays d’Asie centrale, mais avec des fraudes qui ont provoqué de forts mécontentements dans la population. Et l’exaspération de la population face à la corruption, marquée par l’enrichissement éhonté de leurs dirigeants, a été un des principaux facteurs des soulèvements de 2005 et 2010. La révolution de mars 2005, appelée « révolution des tulipes », s’est conclue par la démission du président, au pouvoir autoritaire grandissant, Askar Akaïev. Suite à la révolution de mai 2010, le président Kourmanbek Bakiev a démissionné.

Depuis deux présidents se sont succédé. Almazbek Atambaev, soutenu par le Nord, a occupé la fonction de 2011 à 2017 ; il est le premier président à finir son mandat. Sooronbay Jeenbekov, actuellement au pouvoir depuis 2017, est un président du Sud. En juillet dernier, l’actualité de ce pays, divisé entre Nord et Sud, a été marquée, par une crise politique entre le président actuel, issu du Sud, et l’ex-président du Nord, Almazbek Atambaïev. Ces événements qui ont fait un mort parmi les forces spéciales, à la suite de deux assauts chaotiques, se sont conclus par l’arrestation de l’ancien président accusé de corruption. 

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Peuplé de 6 millions d’habitants, le pays est aujourd’hui composé de 75 � Kirghizes. Les autres communautés ethniques sont notamment : ouzbek (14,5 %), principalement installée dans le Sud, et russe (9 %) implantée dans le Nord (en baisse, car ils quittent le pays) ; et d’autres communautés qui sont minoritaires : doungane, ouïghoure, tadjike, meskhète, kazakhe, ukrainienne, coréenne.

La majorité kirghize appartient au groupe turcophone, des musulmans sunnites qui pratiquent un islam modéré, imprégné de soufisme. 75 � la population est sunnite, 20 % orthodoxe, le reste catholique et protestante. 

Les Kirghizes sont traditionnellement nomades. Très attachés à leur tradition, ils ont su, suite à l’indépendance en 1991, retrouver cette vie de nomade qui leur avait été interdite durant l’ère soviétique.

Les Kirghizes parlent deux langues, le kirghize et le russe qui est la langue d’État.

Le Nord du pays est plus industrialisé que le Sud, et l’agriculture est notamment axée sur la pomme de terre et la betterave. Plus européanisé, et plus russifié que le Sud, on y parle le kirghize et le russe. Par ailleurs, depuis l’indépendance, il y a une forte action des églises protestantes pour contrer la poussée islamique du Sud. 

Dans leSud, la région est plutôt agricole, avec l’élevage et la culture. La population connaît une influence ouzbek, plus islamisée et qui peut être plus vulnérable au problème de la radicalisation islamiste. 

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Och

La ville d’Och est établie de part et d’autre de la rivière Ak-Buura, et au pied d’une montagne appelée Sulaiman-Too ou Trône de Salomon, baptisée ainsi en l’honneur de ce roi mythique qui y aurait séjourné, y aurait établi son trône. Cette montagne est depuis des siècles un des lieux saints de pèlerinage parmi les plus célèbres d’Asie centrale, Mahomet lui-même serait venu s’y recueillir. 

Och serait une étape de la route de la soie depuis des temps reculés. À proximité de la ville, les archéologues ont retrouvé les traces d’une ancienne forteresse, qui s’appelle Ak-Buura, du Ier siècle avant Jésus-Christ. La ville a d’ailleurs fêté ses 3 000 ans d’existence en 2000.               

Depuis le VIIIe siècle, Och est connue comme un centre de production de soie ; la ville fortifiée devait alors être une importante cité commerciale de l’oasis de la Ferghana. Au XVe siècle, le dernier khan timouride, fondateur de l’Empire moghol, le prince Babur, avait vanté les qualités de cette ville ; il a d’ailleurs écrit de nombreux dictons sur l’excellence d’Och. Il construisit une salle de prière au sommet de la montagne, afin de méditer sur son avenir ; cette khoudj, ou salle de prière, a été détruite, probablement par les Soviétiques, puis a été reconstruite après l’indépendance du pays. 

En 1876, la ville a été occupée et annexée par l’empire russe au cours du Grand jeu (voir page précédente Préparation de l’expédition). 

C’est en 1939 qu’elle devient le centre administratif de l’oblast d’Och. Dans les années 1960, Och commença à s’industrialiser, ce qui a contribué au développement de la ville. 

Le tracé arbitraire des frontières, voulu par Staline, entre le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, dans cette région de la Ferghana, a créé des foyers potentiels de tensions aux effets dévastateurs. 

En 1990, Och a connu des affrontements interethniques entre Kirghizes et Ouzbeks.

Et ces effets dévastateurs se sont multipliés après 1991. À Och, en juin 2010, des heurts interethniques entre Kirghizes et Ouzbeks ont été particulièrement violents. Les Kirghizes occupent des postes dans l’administration, la Police et l’Armée, alors que les Ouzbeks possèdent les commerces de la ville. Selon des estimations, on compte entre 400 et 2000 victimes, des quartiers entiers, principalement ouzbks sont détruits, 400 000 personnes déplacées dans le pays, 80 000 se réfugient en Ouzbékistan… 

Le journaliste Régis Genté écrit, dans Le Figaro, lors de son reportage du 14 juin 2010 sur cette crise  : « Il n’y a guère que la haine interethnique qui puisse détruire avec autant d’acharnement. Och, la capitale du Sud du Kirghizstan, ressemble dans certains quartiers, les ouzbeks, à ceux jadis ravagés par les hordes de Gengis Khan, le chef mongol ». 

Depuis 2010, la ville n’a pas connu de nouvelle crise.

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Bibliographie : voir la page précédente Préparation de l’expédition.